Comment j’ai été envoyée par le journal couvrir le petit-déjeuner d’Isabel Allende et Bertrand Delanoë.
Tout commence lundi matin, lorsque je reçois dans ma messagerie un communiqué de presse annonçant une rencontre entre la sénatrice chilienne Isabel Allende et le maire de Paris Bertrand Delanoë.
Les sujets qu’ils prévoient d’aborder ne sont pas mentionnés dans l’e-mail mais je ne m’inquiète pas outre mesure. C’est un fait, l’art du communiqué de presse n’est pas encore tout a fait maîtrisé par les Chiliens. Ils persistent à les écrire « à la one again a bistoufly», comme dirait l’autre, avec la moitié des informations nécessaires et rarement les bons horaires des conférences. Après tout, ça donne une touche de mystère et d’excitation, pourquoi s’en priver.
Néanmoins, un autre détail attire mon attention. Le rendez-vous est donné chez la sénatrice elle-même, dans sa propriété de Providencia à Santiago. Mais comme plus rien ne m’étonne au Chili, je localise rapidement l’adresse sur Google Maps et me mets en chemin.
Coucou Isabel
A quelques minutes de marche du métro, dans une petite rue escarpée bordée d’arbres, je tombe finalement sur le grand portail noir de la maison de famille des Allende.
Constamment angoissée à l’idée d’arriver en retard, j’ai presque couru jusqu’à chez la sénatrice. Mon rédacteur en chef a la fâcheuse tendance de m’envoyer couvrir des événements toujours au dernier moment. En réalité, je crois qu’il aime m’entendre de son bureau, quelques secondes après m’avoir envoyé mon sujet d’article par e-mail, balancer mes affaires, renverser ma chaise, attraper mon sac à dos et courir vers la porte d’entrée en lançant des jurons en français.
C’est donc essoufflée et rouge comme un coq que je sonne au portail de la fille de Salvador Allende, ancien président du Chili. D’ailleurs, quoi de plus naturel ?
Une femme apparaît alors sur le perron, mais je ne la reconnais pas tout de suite. Il faut dire aussi que la maison est un peu loin du portail et que j’ai les lunettes de travers, conséquence inéluctable de ma course contre la montre.
Pourtant, c’est bel et bien la sénatrice elle-même qui me fait face, vêtue d’une tenue plutôt décontractée et un café à la main.
Finalement, je crois que ce n’est pas tant le fait qu’Isabelle Allende m’ouvre elle-même la porte de sa maison qui m’a inquiétée, mais plutôt son regard interrogateur, l’air de dire « C’est pour quoi ? »
La sénatrice, qui visiblement ne s’attendait pas à la venue d’une journaliste, m’invite quand même à entrer chez elle et me fait la bise en me lançant un « Holà. Isabel ».
La maison est vide, il n’y a aucun journaliste et encore moins Bertrand Delanoë. Un homme qui était assis à la table de la salle à manger se lève pour venir me saluer. C’est Osvaldo Puccio, ancien secrétaire général du gouvernement.
Bien.
C’est à peu près à cet instant où je me demande de façon très sérieuse ce que je fais là. Je viens de débarquer chez la fille d’Allende, qui est en plein petit-déjeuner avec un ancien membre du gouvernement, et je ne sais plus trop comment je suis arrivée là.
Totalement prise au dépourvu, je n’ose pas sortir mon carnet de notes. Heureusement, elle me propose tout de suite de patienter dans le salon et attendant l’arrivée du maire de Paris. Delanoë est donc bien à Santiago et sensé rendre visite à la sénatrice. Voilà une bonne nouvelle. En tant que bon Français, il a une demi-heure de retard et Allende ne manque d’ailleurs pas de le faire remarquer à son invité, sur le ton de la plaisanterie : « Vous savez, les Français et la ponctualité… »
De nouveau toute rouge, mais cette fois-ci de honte, je m’enfonce dans le canapé, la tête dans mon bloc notes, alors qu’ils continuent à discuter tout en buvant leur café.
Curieuse et sentant l’ennui arriver, je tends l’oreille pour entendre ce qu’ils se disent. Mon espagnol, qui s’est enfin décidé à s’améliorer, me permet de suivre la conversation. La sénatrice parle de son père et se remémore son enfance.
Au bout de quelques minutes, je comprends finalement que la maison dans laquelle je me trouve est la demeure familiale des Allende depuis les années 1950, que la sénatrice y habite depuis l’âge de 7 ans et que par conséquent, j’ai les fesses posées sur le canapé de l’une des personnalités les plus marquantes de l’histoire du Chili, j’ai nommé monsieur Salvador Allende. Autant vous dire que d’un coup j’ai lâché mon stylo, me suis figée, avec les yeux écarquillés.
La sonnette de l’entrée finit par retentir. Bertrand Delanoë entre enfin, accompagné de ses acolytes en costume : un homme qui semble avoir son Blackberry scotché à sa main, un autre qui à peine arrivé gribouille déjà sur son bloc-notes, et un autre avec des lunettes presque trop vintage.
Le dernier, c’est son interprète. Un drôle d’hurluberlu. La quarantaine, les cheveux un peu long avec la raie sur le côté et les lunettes à double foyer. Le dos bien droit et les mains jointes au niveau de la ceinture, il suit le maire de Paris comme une ombre, ne cessant jamais de lui traduire la moindre parole au coin de l’oreille. Une oreillette n’aurait pas mieux fait.
Après des embrassades à la française, tous se sont assis autour de la table de la salle à manger ou attendaient des gâteaux secs et des tasses pleines de café.
La scène a laquelle j’ai ensuite eu l’exclusivité d’assister (je me demande encore qui a envoyé cette invitation au Santiago Times) fut des plus cocasses. Delanoë, n’alignant pas deux mots d’espagnol, a passé son temps à complimenter Allende en articulant lentement, de manière totalement exagérée. L’interprète, dévoué à la tâche, a fait en sorte de faire un bruit de fond sans interruption traduisant les paroles à la fois de Delanoë et d’Allende. La sénatrice a gardé un sourire figé toute la matinée, écoutant le flot de paroles déversé par Delanoë. Apparemment, l’interprète a du à elle aussi lui casser les oreilles, car au bout d’une demi-heure elle a trouvé bon de lui préciser qu’elle comprenait le français.
Et moi, un peu en retrait et l’air totalement hébétée, j’ai eu l’impression d’assister à une pièce de Ionesco, avec une touche de comédie et d’opéra.
hahahaha…. ;-) Comme si on y etait
Je me laisse toujours pas.
Excellent…
;-)
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Besos from Argentina !! Mwah!
je prends toujours autant de plaisir mais je suis très en retard sur mes lectures,
Merci Giovanna! Allez allez on rattrape son retard!! :-) grosses bises !